« L’endettement américain est insoutenable »
Gianluca Lobefalo estime que les tarifs douaniers constituent une manière d’amener les créanciers des Etats-Unis à la table de négociation pour restructurer la dette américaine.
A l’occasion d’un webinaire spéciale consacrée aux cent premiers jours du second mandat de Donald Trump, Gianluca Lobefalo (Analyste senior sur les couvertures macroéconomiques chez Varenne Capital Partners) est revenu sur les conséquences des décisions prises par Donald Trump depuis le mois de janvier. « Le cadre change continuellement. Nous avons tous les jours des annonces provenant de Donald Trump lui-même ou de conseillers proches comme Scott Bessent ou Howard Lutnick, et qui peuvent être démenties dans les jours qui suivent. Notre but est d’essayer de discerner de quelle manière ces informations vont impacter la situation des marchés sur un horizon de six mois ».
Liberation day
Le point d’orgue de ces premiers 100 jours a été l’annonce de tarifs sur pratiquement tous les partenaires commerciaux des Etats-Unis lors du fameux « Liberation Day » du 2 avril, qui ont entraîné des ripostes parfois très importantes des autres pays. « L’Europe, la Chine, le Japon ou le Royaume-Uni ne pouvaient pas accepter passivement ce genre de décision unilatérale », avec pour conséquence une augmentation significative de la volatilité et de l’incertitude sur les marchés financiers.
Gianluca Lobefalo souligne qu’il est encore prématuré de tirer des conclusions définitives des annonces faites par Donald Trump. « Pour l’instant, nous avons surtout vu une dégradation des soft data comme les indicateurs de confiance, mais encore peu de données au niveau des hard data (inflation, croissance), et il faudra attendre le début de l’été pour encore une idée plus claire de la situation économique aux Etats-Unis. Ce qui est clair par contre, c’est la dégradation des attentes concernant l’inflation. Combiné à une croissance plus molle, nous pourrions tomber dans un scénario de stagflation, qui est le pire possible pour les marchés américains ».
A l’inverse, les attentes sont plutôt déflationnistes pour l’Europe au vu des produits chinois à bas prix qui vont désormais se diriger vers l’Europe suite à la mise en place des droits de douane aux Etats-Unis, avec un scénario macroéconomique qui s’écarte fortement avec les Etats-Unis. « La BCE a récemment baissé son taux directeur, et le prochain mouvement devrait également être orienté à la baisse». Il rappelle également que l’Europe a toujours été en mesure d’avancer lorsqu’elle fait face à des problèmes qui menacent son existence. « C’est aujourd’hui une opportunité pour apporter des changements et accélérer le mouvement vers une union monétaire et fiscale ».
Sorties internationales
Gianluca Lobefalo constate également que le marché américain a longtemps constitué une destination privilégiée des investisseurs internationaux, mais que le mouvement des derniers mois pointe vers davantage de sorties, avec des indices américains qui ont sous-performé. Par ricochet, ce mouvement fait aussi pression sur le dollar, qui pourrait perdre son statut de monnaie de référence durant les prochaines années. « Dans l’histoire, nous avons eu de nombreux changements dans la devise de référence utilisée au niveau mondial. Cela se produit en moyenne tous les 40 ans, et le dollar a fait preuve d’une longévité exceptionnelle vu qu’il a occupé ce poste depuis la fin de la seconde guerre mondiale ».
Dans le même temps, il estime que l’administration Trump utilise surtout les droits de douane pour négocier une restructuration de la dette américaine, qui fait face à des besoins de refinancement insoutenables durant les prochains mois. « A la fin 2024, les Etats-Unis affichaient des déficits d’un niveau inédit en temps de paix, et un endettement supérieur à 100% du PIB qui est difficilement compatible avec un statut de devise de réserve ».
Dans ce contexte, l’or reste un actif qui devrait rester soutenu durant les prochains mois car il reste un actif de couverture très recherché. « Le métal jaune a réalisé sa meilleure performance historique durant les cinq dernières années, et reste une manière de se protéger contre les risques géopolitiques ». Par contre, il se montre plus prudent pour les cryptos et le bitcoin, qui restent encore fortement influencés par des mouvements spéculatifs. « Il est encore trop tôt pour dire si son rôle, à terme, sera aussi important que l’or physique ».
Opportunité chinoise
Gianluca Lobefalo estime que la Chine pourrait également ressortir comme une grande gagnante de l’environnement actuel. « La politique américaine ne change généralement pas fondamentalement d’un président à l’autre. Si elle avait été élue, Kamala Harris aurait également été confrontée à la problématique de la restructuration de l’endettement américain, et aurait également du prendre des mesures pour le corriger ».
« A l’inverse, la Chine n’a pas d’alternance politique, mais sait se montrer très agile pour réorienter sa politique. Avec l’émergence de la classe moyenne qui est moins désireuse de travailler dans les usines, ils sont aujourd’hui en train d’investir massivement dans l’automation, et le pays représente environ 50% des robots installés annuellement au niveau global ».
Si le pays doit encore digérer les excès réalisés dans le secteur immobilier, la Chine reste l’usine du monde, et va continuer à développer son marché domestique afin d’être moins dépendante des exportations. « Je m’attends également à des négociations non officielles avec les Etats-Unis, avec un nouvel équilibre qui pourrait être trouvé entre les deux superpuissances ».