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Pictet : les jeunes perçoivent la philanthropie de manière totalement différente

La prochaine génération étant sur le point de gérer à terme le patrimoine des familles fortunées, Christoph Courth, responsable mondial des services philanthropiques chez Pictet, et son équipe ont jugé intéressant de se pencher sur la manière dont les jeunes de 18 à 25 ans perçoivent la philanthropie et l’investissement à impact. Leur étude menée auprès de 150 jeunes révèle qu’ils accordent davantage d’importance à des approches entrepreneuriales et stratégiques pour générer du changement, plutôt qu’à la philanthropie traditionnelle. L’idée que cette dernière est dépassée gagne du terrain. Christoph Courth nous explique ses constatations.


Origines

Avant d’aborder les résultats de l’étude, nous voulions savoir pourquoi Pictet s’est lancé dans l’activité de services philanthropiques. « Des études montrent que 92 % des familles fortunées dans le monde sont actives d’une manière ou d’une autre dans la philanthropie. Et si cela est important pour elles, cela l’est donc aussi pour nous », souligne Courth. « Nous constatons également que de plus en plus de familles fortunées savent désormais qu’il existe des services de conseil en philanthropie. Et la jeune génération en est particulièrement consciente, convaincue qu’il existe de meilleures approches qu’autrefois. Elle adopte une démarche beaucoup plus stratégique et entrepreneuriale, motivée par le désir d’avoir un impact plutôt que de simplement donner. »

Avant de lancer son expertise en conseil philanthropique, Pictet se limitait à aider ses clients à mettre en place les structures appropriées. Très vite, il est apparu que cela ne suffisait pas. « C’était comme aider un client à créer une entreprise sans l’assister dans la définition ni la mise en œuvre du plan d’affaires. Aujourd’hui, notre rôle consiste à aider les clients à formuler leurs objectifs philanthropiques, qu’il s’agisse de la lutte contre le changement climatique, la traite des êtres humains ou le soutien à l’éducation. Nous les aidons à élaborer une stratégie avant de mettre en place la structure adéquate. »

Pourquoi s’intéresser à cette jeune génération, souvent négligée dans le monde financier ? Pour Courth, la réponse est évidente : « Ce sont eux qui hériteront un jour de ces fortunes. Il est donc judicieux de comprendre dès aujourd’hui leurs préoccupations. Nous devons également les préparer à assumer les responsabilités, les opportunités et les défis liés à la gestion d’un patrimoine important, et la philanthropie en fait partie. »


Nouvelle génération : un autre regard

Une des principales conclusions de l’enquête est le changement radical dans la manière dont les jeunes perçoivent la philanthropie, par rapport à leurs parents ou grands-parents. « Les causes qu’ils défendent sont différentes, et leur approche l’est tout autant. Le changement climatique et la biodiversité figurent en tête de leurs priorités, alors qu’ils n’attirent actuellement que 2 % des capitaux philanthropiques. Les inégalités et la prévention des conflits arrivent ensuite. Par le passé, les principales causes étaient l’art, la culture, l’éducation, la religion et la santé. » Ayant grandi avec Greta Thunberg et exposés en permanence aux problématiques climatiques via les réseaux sociaux, ces jeunes ont une vision du monde profondément marquée. « Ils considèrent le changement climatique comme une crise urgente, la plus importante pour leur génération. »

Ils adoptent également une approche différente. Sceptiques vis-à-vis des méthodes traditionnelles, ils estiment que les stratégies passées ont souvent échoué. « Ils veulent faire les choses autrement. » Ils sont conscients que le financement philanthropique existant – environ 2,5 milliards de dollars dans le monde – est insuffisant pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD), qui nécessitent entre deux et quatre milliards de dollars supplémentaires par an. Ils souhaitent donc mobiliser d’autres formes de capitaux. Ils envisagent aussi leurs entreprises et investissements comme leviers d’impact à plus grande échelle.


Élargir la définition du capital et de l’impact

« L’objectif final de nombreux jeunes n’est pas nécessairement la constitution d’un patrimoine, mais la création de valeur pour eux-mêmes et pour la société. C’est une autre mentalité, plus axée sur l’impact et la finalité », déclare Courth. Il doit souvent jouer un rôle de médiateur entre les générations, notamment lorsque les investissements à impact suscitent des tensions. « Mon rôle est de faciliter le dialogue, de favoriser la compréhension mutuelle et de trouver un terrain d’entente. » Grâce à la vision à long terme et à l’accent mis sur la satisfaction du client chez Pictet, il peut mener ces échanges ouverts et transparents.

La génération Z est aussi plus activiste, naturellement encline à la collaboration, ouverte au conseil et désireuse de bousculer les systèmes en place. « Fait révélateur : lorsqu’on leur a demandé s’ils se considéraient comme philanthropes, ils ont répondu non. Ils se voient plutôt comme des entrepreneurs sociaux ou des investisseurs sociaux. Je les qualifie donc d’anti-philanthropes philanthropiques. »

Courth évoque également le rôle du financement mixte (« blended finance ») comme levier de changement. « Il s’agit de partenariats philanthropiques public-privé réunissant des acteurs financiers qui ne se côtoient généralement pas. La philanthropie, bien que marginale face aux masses d’actifs mondiaux, n’a ni actionnaires à satisfaire ni contraintes de rentabilité, ce qui lui confère une liberté unique pour attirer d’autres investisseurs. » Il illustre cela par un exemple : « Imaginez une fondation qui souhaite lutter contre le sans-abrisme, en offrant un prêt sans intérêt à une société immobilière pour maintenir des loyers bas, pendant que les autorités locales accordent des avantages fiscaux et que l’État soutient le modèle à grande échelle. Voilà un exemple de financement mixte. »


Concrètement : le changement climatique

Lorsque des jeunes présentent une idée, le rôle de Pictet est de la concrétiser. Que faire, par exemple, s’ils souhaitent agir sur le climat ? Pour Courth, le changement climatique est un domaine vaste, englobant les océans, le reboisement, le plastique, la décarbonation industrielle et la transition vers une économie neutre en carbone. « Le défi consiste à affiner leur focus », explique-t-il. « Par une série de questions et de discussions, nous identifions leur champ d’action et les moyens les plus efficaces d’intervenir, que ce soit par leurs propres programmes, en partenariat avec des ONG ou avec d’autres donateurs. »

Il rappelle que ce processus demande une préparation approfondie : écoute, questionnement, planification. « Une fois l’objectif défini, l’étape suivante consiste souvent à créer des passerelles : mettre les clients en contact avec des ONG, des experts et d’autres parties prenantes, pour favoriser la collaboration et l’échange de connaissances. » Faire le lien entre le monde structuré de la finance et celui plus fluide du non-marchand est un défi. « Les ONG comptent de nombreux spécialistes passionnés, mais leur langage diffère de celui des particuliers fortunés. Mon travail consiste en partie à traduire et connecter ces univers. »


Et demain ?

Il conclut que l’élaboration de stratégies philanthropiques efficaces est un processus complexe et de longue haleine. Cela va bien au-delà du simple fait de rédiger un chèque ; cela demande une réflexion approfondie, une bonne préparation et une coopération active. « Il faut définir ce que signifie la réussite, quels sont les moyens disponibles et comment mesurer l’impact. »

Courth estime aussi que la philanthropie s’intégrera de plus en plus dans les volets ESG, d’investissement responsable et à impact, et qu’il collaborera davantage avec les équipes de gestion d’actifs. « Il y a dix ans, certains banquiers refusaient de parler philanthropie, affirmant qu’ils travaillaient dans une société d’investissement visant la rentabilité. Aujourd’hui, les choses ont bien changé. Nous sommes désormais bien plus intégrés dans les discussions sur la gestion de patrimoine, et je pense que cela ira en s’intensifiant, car la nouvelle génération recherche une approche plus holistique. » Pour Courth, cette transformation reflète un changement de société plus vaste : « La prise de conscience que la richesse, bien utilisée, peut devenir un puissant levier de changement positif. »

Francis Muyshondt

Author Francis Muyshondt

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